Suite de l'affront National (désolé pour la présentation)
L'affront National (en plus lisible)
Jusqu'à vendredi soir, et l'instant programmé de son inéluctable fin, le FC Metz traverse l'ultime
privilège de sa singulière existence : il n'est pas encore tout à fait mort, mais il n'est plus vraiment vivant.
Le pire, c'est que le spectacle de sa chute sera présenté sur la place publique. Succès garanti, enfin un :
la disparition d'une équipe et d'un club à des profondeurs ici inexplorées en 80 ans d'histoire apportera
l'ultime illusion d'une ferveur pourtant bel et bien révolue, car ce spectacle-là, triste et laid et pathétique,
attirera surtout ceux qui, plus tard, diront fièrement : « J'y étais ». « Ils ne savaient pas que c'était impossible,
alors ils l'ont fait. » D'habitude, c'est à l'évocation d'un improbable exploit que l'on convoque Mark Twain.
Cet exploit-là n'a rien de glorieux, il n'en reste pas moins exceptionnel : le football messin en troisième division,
voilà un fait d'arme proprement unique à jamais associé à quelques patronymes ainsi assurés de ne pas tomber
dans l'oubli : Bijotat, Guerriero, Duhamel, Fleurival, Abdoulaye et autres petits camarades de jeu… De jeu ?
Un concept qu'ils auront surtout passé du temps à martyriser, lors de leur passage par la Lorraine.
Implacable loi du sport, qui ne pardonne qu'un temps la médiocrité, l'insuffisance de niveau, l'absence
d'envie partagée, le mépris d'un héritage, l'inculture locale. Metz, en 2012, n'avait plus rien à faire là où
il avait déjà souffert à demeurer en 2011 : l'en voici expulsé. Normal, comme dirait l'autre ! Face au jugement
de l'histoire et face à celui des derniers défenseurs de la cause grenat, cet affront National serait injustement
et insuffisamment résumé en ne ciblant qu'un entraîneur soumis aux moyens du bord, comme ses prédécesseurs,
donc dans l'incapacité de rapprocher Metz de son lustre d'antan. Si Dominique Bijotat n'a pu composer qu'avec
de modestes joueurs (on parle de leur niveau technique), c'est d'abord et avant tout parce que le FC Metz est
lui-même devenu un club modeste, ou plutôt quelconque, un figurant de la Ligue 2 désolant son monde et
indifférant les autres. Il a joué avec le feu, se brûlant souvent, puis il s'est grillé. Définitivement grillé.
Quatre ans à peine auront suffi à la mise en œuvre d'une politique erratique produisant l'exact contraire de ce
qui était promis, annoncé, et rabâché avec le concours obligé d'une critique devenue partenaire : admirons le
travail ! Il ne s'agit pas là de moyens, ou pas seulement : il est question de leur utilisation, de flair, de savoir-faire
et de compétences, d'habileté et de savoir-vivre aussi, tout ce qui avait permis au football messin de tutoyer
les sommets et d'attirer la sympathie, du mitan des années 80 à la toute fin du siècle dernier. Il faut reconnaître
à Bernard Serin un courage certain à dépenser beaucoup dans une entreprise déjà bringuebalante lorsqu'il en a pris
les rênes, dans le flou d'une transition à rallonge. Sauf que sa prouesse la plus remarquable, à ce jour, reste tout
de même de s'en sortir mieux avec la sidérurgie en Belgique ou le vin en Languedoc qu'avec le football en Lorraine.
Sous la présidence de ce capitaine d'industrie devenu commandant du Titanic, plus jamais Metz n'a su retenir ou
attirer des joueurs capables de forcer son destin ou, lorsque le miracle s'est produit, avec Sylvain Wiltord par exemple,
jamais il n'a su leur choisir le bon entraîneur au bon moment, y compris quand tout commandait d'en changer,
aux printemps 2009 puis 2010, alors que l'élite de nouveau tendait les bras à l'un de ses plus fidèles pensionnaires…
Fallait-il plutôt entretenir l'ambiguïté d'un organigramme confus, entre un directeur sportif (Joël Muller) rejoint
par un autre (Dominique D'Onofrio), auprès d'un directeur général (Patrick Razurel) bien en place, le tout au-dessus
d'une cellule de recrutement sans boussole et d'un centre de formation vivant sa vie à la marge, plus attaché à ses
trophées qu'à une vision à long terme?
A l'heure des comptes, il ne semble même plus utile de parler de la récente opération d'enfumage autour du projet de modernisation de Saint-Symphorien, un sujet virant à l'obsession à une époque où la clairvoyance commandait
non pas tant de s'occuper du stade, mais de ce qui se passait sur le terrain. La catastrophe se jouait pourtant là,
aux yeux de tous, il y a trois ou quatre mois à peine. Tout cela est fini, terminé : pour la notoriété de la ville,
son rayonnement et son prestige, il reste à Metz son Centre-Pompidou.
L'art contemporain au secours d'un désastre moderne…
Sylvain Villaume
http://www.lasemaine.fr/2012/05/16/l-affront-national
