Messagepar titi_lorraine » 18 août 2020, 09:09
De Mediapro à Téléfoot (2/2): la naissance d'une chaîne
Après un an et demi de silence volontaire, Mediapro a enchaîné, ces derniers mois, les coups stratégiques. Elle s'est trouvée un nom, une équipe rédactionnelle et quelques distributeurs. Tout en rassurant les clubs.
La nouvelle chaîne du foot français, Téléfoot a ouvert lundi 17 août avec des bandes annonces et des pastilles tournées dans les clubs de L1 et L2. Sa première émission en direct est prévue vendredi à 17 heures. L'Équipe conclut le récit de la naissance de ce nouveau diffuseur avec ce second et dernier volet de son enquête.
Au Club, le restaurant de la tour TF1, François Pellissier, directeur des sports et de la régie publicitaire de la première chaîne d'Europe, reçoit en tête-à-tête, à l'automne 2019, Julien Bergeaud, qui dirige désormais Mediapro France. Dès l'entrée, Pellissier lui expose deux idées : une collaboration pour gérer la pub du futur diffuseur de 80 % de la Ligue 1 et de la Ligue 2, mais aussi la possibilité de produire certains programmes. Bergeaud, lui, aime la marque « Téléfoot » et il en utiliserait bien le nom pour sa chaîne. Pellissier est réceptif : « On sait qu'une marque est longue à construire et celle de "Téléfoot" a une notoriété très forte auprès des amateurs de foot et de manière plus large auprès des Français. Cela faisait une bonne partie du job pour eux. » Les deux hommes abordent également le prêt du duo Grégoire Margotton-Bixente Lizarazu pour commenter plusieurs affiches de Ligue 1.
« La base de la réflexion, c'était : pourquoi on n'étendrait pas aux talents la complémentarité gratuit-payant, qui existe déjà sur le partage des droits à la production ? L'intérêt était que les mecs s'éclatent, qu'ils puissent commenter les plus beaux matches, s'enthousiasme Pellissier. Pour nous, ça les valorise énormément et Mediapro peut profiter du meilleur duo de commentateurs de France. » Si les deux voix ne seront sondées qu'au printemps dernier, ce jour-là, les grandes lignes de l'accord sont esquissées. Gilles Pélisson et Jaume Roures, les grands patrons respectifs de TF1 et Mediapro, valident par téléphone le projet. Dans le plus grand secret.
Quelques semaines plus tard, juste avant Noël, revenu bredouille de l'appel d'offres sur la Ligue des champions (période 2021-2024) (*), Jaume Roures doit tranquilliser certains présidents de Ligue 1 et de Ligue 2. Il prend la parole au Pavillon Dauphine, en marge de l'assemblée générale de la Ligue, où il apparaît pour la première fois avec son DG. Il assure que la distribution de la future chaîne sera la plus large possible, mais n'annonce aucun accord, ni le nom de la chaîne, pas plus que les premières recrues.
« Il y a eu des frustrations, se souvient Jacques-Henri Eyraud, le président de l'OM. Certains s'attendaient peut-être à plus de détails, mais à huit mois du lancement, ce n'était pas le bon moment. » Dans L'Équipe, Jaume Roures assure également discuter avec Altice (maison-mère de SFR et RMC Sport) d'une codiffusion possible de leur dernière année de contrat de Ligue des champions. Un atout de poids en vue du lancement...
Deux mois plus tard, un nouveau nom rassure un peu plus les dirigeants. Jean-Michel Roussier, alors président de Nancy, ancien patron de l'OM (1995-1999), créateur notamment des chaînes de clubs OM TV et Onzéo, mais aussi directeur de l'éphémère CFoot (2011-2012), prend en main la direction éditoriale de la future Téléfoot. Son profil colle à la ligne annoncée par la chaîne : devenir « la maison du football français ». La LFP et certains présidents ont-ils validé l'idée ? « Oui, reconnaît Jean-Michel Roussier. Ma fonction supposait sinon une validation, au moins une approbation. Que le schéma ne rende pas les choses plus difficiles dans la relation aux clubs, à la Ligue. »
Inconnu du monde du foot, Julien Bergeaud s'entoure ainsi d'un relais précieux pour accélérer le développement du projet. « Monter l'offre qu'on souhaitait, avec des émissions en direct toute la semaine à l'intérieur des clubs, c'était hyper important, souligne Julien Bergeaud. Jean-Michel sait comment fonctionne un club en match, mais aussi après le coup de sifflet final. Que peut-on faire avec une équipe le lundi matin, à 11 h 30 ? Qu'est-il raisonnable de demander au staff, aux joueurs ? Si on veut tourner des programmes autour des clubs en plus des directs, des reportages, des insides, sur quoi risquent-ils de nous mettre un veto ? »
Plusieurs sont prêts à jouer le jeu. Jean-Michel Aulas confirme : « En interne, j'ai donné des consignes pour que Mediapro participe de l'intérieur à la vie d'un grand club. » « Il ne faut pas oublier Canal+, alerte Jean-Pierre Rivère, le président de Nice. On doit avoir une ligne de conduite identique avec les deux diffuseurs ! » Jacques-Henri Eyraud, président de l'OM, valide, lui, sans surprise, la ligne soft envers les clubs : « Il est tout à fait logique de critiquer la performance d'une équipe quand elle n'a pas été à la hauteur. Mais quand vous investissez des centaines de millions d'euros dans un projet, il est normal que vous cherchiez à le valoriser au maximum. »
Jean-Michel Roussier prend aussi en main le recrutement des visages de la chaîne. Avec une difficulté supplémentaire : l'épidémie de Covid-19 et le confinement. « J'entre en fonction le 1er mars et soudain tout s'arrête ! Je me retrouve chez moi et il faut constituer toute la rédaction, passer des accords de principe, c'est un puzzle. » Qui plus est dans un contexte où sans aucun accord officialisé, certains ne sont pas rassurés...
Côté consultants, Roussier vise d'abord des noms très cotés, Habib Beye, Éric Carrière ou Éric Di Meco... « Je discute avec eux, la confiance existe vraiment, je les connais. Qu'est-ce qui achoppe ? Probablement une question économique. Canal ou d'autres ont souhaité surenchérir pour surtout éviter qu'ils s'en aillent... »
Avec Nicolas Anelka, le deal n'aboutira pas non plus. Roussier convaincra à distance Franck Sauzée (Canal+), Benoît Cheyrou (RMC Sport), Alain Perrin, Fabrizio Ravanelli et Jean-Louis Gasset... avant son départ à Bordeaux. Pour les journalistes, la tâche n'est pas plus aisée. Il faut la plupart du temps débaucher, en restant dans le budget.
L'ancien boss de CFoot appelle des gens qu'il a lancés quelques années plus tôt : Marie Portolano, Carine Galli, Smaïl Bouabdellah. D'autres noms lui sont soufflés par l'agent Yvan Le Mée, un proche depuis leur année commune à OM TV, en 1999 comme Karim Bennani, Bertrand Latour et Messaoud Benterki. « J'ai commencé par leur demander leur fiche de paie et leur niveau d'imposition pour me faire une idée. Pratiquement tout le monde a joué le jeu. » Environ 200 journalistes et consultants seront sollicités... tous ne recevront pas de proposition formelle. Anne-Laure Bonnet, Marina Lorenzo, Smaïl Bouabdellah, Thibault Le Rol, Pierre Nigay et Julien Brun, entre autres, rejoindront finalement leur nouvelle maison, au nord de Paris, début août.
Jaume Roures et Julien Bergeaud ont justement longtemps hésité sur la localisation de la rédaction. Plusieurs options ont été envisagées, notamment utiliser les studios d'autres médias et boîtes de production, par exemple les locaux d'Altice à Paris. Faute d'accord, la chaîne s'installe, fin juin, à Aubervilliers afin de bénéficier de grands espaces sans exploser son loyer.
Un accord TF1-Mediapro pour utiliser la marque Téléfoot
Entre-temps, le 29 mai, TF1 et Mediapro ont signé à distance, électroniquement, leur accord global, évalué autour de 6 M€ par an jusqu'en 2024 pour l'utilisation de la marque Téléfoot, la production de plusieurs programmes dont le magazine du dimanche midi et le prêt du duo Margotton-Lizarazu pour les vingt plus belles affiches de L1. La communication, dégainée quatre jours plus tard, a bluffé tout le PAF. Dix personnes seulement étaient au courant. « Je reconnais que c'est un super coup, très créatif, glisse Maxime Saada, le président de Canal+. D'ailleurs, j'ai envoyé un texto à Jaume Roures pour le féliciter. » Depuis, les deux patrons n'ont plus échangé directement...
Ce jour-là, la vapeur se renverse sensiblement en faveur du nouvel acteur. « Beaucoup pensaient qu'on était dans une activité de négoce de droits, l'une des activités de Mediapro depuis toujours, confirme Julien Bergeaud. Qu'on les avait achetés pour les revendre, sans vraiment créer de chaîne, sans réel projet, sans vraiment embaucher des gens, sans prendre de locaux, etc. C'était une première réponse forte à tous les "Mediaprosceptiques" (sourire). » Fin juillet, la seconde rassure, cette fois, une partie des consommateurs. Mediapro finalise un accord avec Altice pour la distribution de Téléfoot par SFR et la codiffusion de la dernière année des Coupes d'Europe. Canal+, également sollicité, n'avait pas donné suite à celle-ci face au montant réclamé par Altice.
La chaîne cryptée voit ensuite Mediapro marcher sur ses plates-bandes, au coeur de l'été, avec l'officialisation d'un accord commercial entre Téléfoot et Netflix, avec des abonnements couplés à moins de 30 € par mois. Une première mondiale qui impressionne une nouvelle fois. Facilitées par l'installation d'un bureau parisien de Netflix en janvier dernier, les discussions sont remontées jusqu'au bureau du grand patron américain Reed Hastings. « On avait tout envisagé, y compris installer la chaîne sur l'interface Netflix, raconte Julien Bergeaud, qui a mené les différents rendez-vous. C'était compliqué car tout est géré par plusieurs ingénieurs depuis la Californie. Ils ne pouvaient pas remettre en question leur fonctionnement "juste" pour la France, en tout cas à ce stade. Ils n'excluent pas de le faire un jour... »
S'ensuit, quelques jours plus tard, un accord avec un deuxième opérateur, Bouygues Telecom, qui devrait proposer également l'offre couplée Téléfoot-Netflix, contrairement à SFR. Des discussions sont également toujours en cours avec Facebook, Amazon et YouTube pour la distribution. Les complexités techniques notamment freineraient certains rapprochements. Free, qui possède sa propre offre de Ligue 1 en quasi-direct, ne semble de son côté pas pressé de conclure un accord et Orange, l'opérateur télécom le plus puissant, n'a pas encore signé.
Mediapro aurait d'abord réclamé un important minimum garanti (MG) aux opérateurs traditionnels, de l'ordre de 150 à 200 M€ par saison, afin de sécuriser ses revenus. « On n'a jamais demandé ce type de prix, dément Jaume Roures. Le MG, ce n'est pas un caprice de Mediapro, c'est la façon dont le secteur s'organise depuis longtemps. Il faut simplement s'assurer que Téléfoot soit mise en avant dans les offres pour être connue et générer des abonnements. On a trouvé d'autres formules qui n'utilisent pas le mot MG. »
Un accord reste très attendu des consommateurs, notamment ceux qui passent par le satellite. Sauf que le groupe Canal+, puissant distributeur du sport à la télévision, n'a plus échangé sur ce point depuis plus d'un an avec Mediapro. De part et d'autre, on s'observe. Le Classique PSG-OM, programmé le 13 septembre, pourrait mettre un peu la pression sur les deux parties. « Attendons que les choses se reposent, que la Ligue démarre, le Covid est encore présent... La situation est très complexe, il faut être patient », estime Roures, tandis que Julien Bergeaud reconnaît avoir prévu que « Canal+ ne serait pas là au début de l'aventure », toujours programmée - si le virus n'en décide pas autrement - vendredi, à 19 heures, avec OM - Saint-Étienne.
« Bien sûr, je préférerais distribuer Téléfoot, assure de son côté Maxime Saada. Mais cela dépend du prix. Si je peux le proposer à nos abonnés à un coût raisonnable, je leur propose! » Téléfoot pourra-t-elle s'en passer sur le long terme tout en atteignant son objectif de 3,5 millions d'abonnés ? « Difficile de répondre, reconnaît Jaume Roures. On s'est renvoyé à plusieurs reprises cette phrase, Maxime et moi : le foot ne peut pas vivre sans Canal et Canal ne peut pas vivre sans le foot... On verra... »
(*) Il obtiendra ensuite la majorité des droits de la Ligue Europa et de la future Ligue Europa Conference.