[Le Monde] Faut-il démanteler la Ligue 1?
Publié : 02 janv. 2018, 20:33
Le démantèlement des ligues nationales au profit d’une super ligue européenne semble s’inscrire dans un processus incontournable.
Il y a un an, le football européen enregistrait un premier indice d’une concentration accrue dans le secteur. Pour la première fois, les 16 clubs présents en huitièmes de finale de la Ligue des Champions représentaient seulement 6 nations : les 5 premières au classement UEFA (Espagne, Allemagne, Angleterre, Italie, France) et le Portugal (fraîchement devancé par la Russie à la 6ème place de ce même classement). En ce début d’année 2018, si 3 nations sont parvenus à réintégrer le Top 16 (Ukraine, Turquie et Suisse), un autre record est battu : 5 équipes anglaises prennent part à ces huitièmes, puisque le vainqueur de l’Europa League (Manchester United en 2017) a obtenu lui aussi un billet pour la compétition continentale phare. Ce second record est plus emblématique que celui de la saison précédente car il illustre de façon éclatante l’impact de la prodigieuse progression des droits TV de la Premier League (2,75 milliards d’euros distribués au 20 clubs de la ligue en 2016-2017).
Une NBA du football
Ce déséquilibre accru entre une quinzaine de clubs européens et la grande masse de leurs poursuivants fait resurgir l’idée d’une super ligue européenne qui serait l’égale de la NFL (football américain), de la MLB (baseball) ou de la NBA (basket). Les championnats nationaux, dépourvus de leur cadors, deviendraient alors, de fait, des ligues mineures, susceptibles de s’organiser elles-mêmes de façon transnationale. Cette perspective a connu un regain de vraisemblance ces dernières semaines avec le verdict de la commissaire européenne à la concurrence Margrethe Vestager selon lequel une fédération sportive est infondée à infliger des sanctions à des athlètes ayant participé à des compétitions non organisées sous l’égide de ladite fédération sportive (voir le post : « Un nouvel arrêt Bosman ? »). En d’autres termes, si l’Association Européenne des Clubs (ECA) décidait de créer une super ligue à la rentrée 2018, ni l’UEFA, ni la FIFA ne pourraient sanctionner les joueurs y prenant part.
Une concentration réellement accrue ?
Mais cette intuition d’une concentration accrue au sommet des ligues nationales est-elle conforme à la réalité ? Pour le savoir, il est possible de calculer un indicateur de déséquilibre compétitif se focalisant sur la « part de marché » (le pourcentage de points obtenus) des 4 ou 5 premières équipes de chaque ligue. Dans les travaux académiques, on étudie ainsi beaucoup le « C5 », ou indice de concentration fondé sur la part de marché des 5 premiers. Nous allons ici privilégier un C4 (part de marché des 4 premiers), plus approprié pour étudier la situation des 5 principales ligues européennes (le « Big 5 »). Sans entrer dans les détails, précisons que ce C4 est mesuré après avoir recalculé les classements finaux dans un système où seulement 2 points sont attribués pour une victoire (mesure non biaisée) et en effectuant une correction pour la Bundesliga (ligue à 18 clubs seulement). Précisons enfin que, dans une ligue à 20 clubs parfaitement égalitaire, le C4 serait égal à 0,20 et, dans une ligue parfaitement inégalitaire, le C4 serait égal à 0,368. Dans le graphique ci-dessous est présenté l’évolution du C4 moyen des 5 principales ligues depuis 2005.
Même si les résultats de 2015 et 2016 semblaient invalider l’idée d’une progression continue du déséquilibre compétitif, les résultats de la saison 2016-2017 confortent la thèse d’une fracture entre quelques cadors nationaux et la masse de leurs poursuivants. Jamais le C4 moyen n’a été aussi fort depuis la création de la ligue des champions (en 1993)…
Et si le projet d’une super ligue dynamitait la menace du Fair Play Financier ?
Le démantèlement des ligues nationales au profit d’une super ligue européenne semble s’inscrire dans un processus incontournable. Jusqu’ici, l’UEFA était parvenu à calmer les ardeurs des grands clubs en leur accordant la plus grosse part du gâteau continental. Mais ces derniers savent qu’ils pourraient obtenir une fraction plus importante du paquet « droits TV nationaux + droits continentaux ». Le big bang du football européen est peut-être imminent. C’est peut-être fort de cette conviction que le Paris Saint Germain semble aborder sans crainte particulière les échéances du Fair Play Financier : être exclu de la Ligue des Champions n’est pas si grave… si l’on s’apprête à jouer en super ligue européenne ! Dans quelques mois, la Ligue 1 aura peut-être perdu 2 ou 3 de ses têtes d’affiches. Il en ira de même pour la Liga, la Bundesliga, la Serie A. Il reste à savoir ce que les têtes d’affiche de la Premier League décideront : rejoindre les cadors de la scène continentale ou « Brexiter » en pariant sur une suprématie planétaire du football joué entre Londres, Manchester et Liverpool. Une fois encore, les anglais seront tiraillés entre leur esprit voyageur et la tentation du repli insulaire…
http://ecosport.blog.lemonde.fr/2018/01 ... e=Facebook
Il y a un an, le football européen enregistrait un premier indice d’une concentration accrue dans le secteur. Pour la première fois, les 16 clubs présents en huitièmes de finale de la Ligue des Champions représentaient seulement 6 nations : les 5 premières au classement UEFA (Espagne, Allemagne, Angleterre, Italie, France) et le Portugal (fraîchement devancé par la Russie à la 6ème place de ce même classement). En ce début d’année 2018, si 3 nations sont parvenus à réintégrer le Top 16 (Ukraine, Turquie et Suisse), un autre record est battu : 5 équipes anglaises prennent part à ces huitièmes, puisque le vainqueur de l’Europa League (Manchester United en 2017) a obtenu lui aussi un billet pour la compétition continentale phare. Ce second record est plus emblématique que celui de la saison précédente car il illustre de façon éclatante l’impact de la prodigieuse progression des droits TV de la Premier League (2,75 milliards d’euros distribués au 20 clubs de la ligue en 2016-2017).
Une NBA du football
Ce déséquilibre accru entre une quinzaine de clubs européens et la grande masse de leurs poursuivants fait resurgir l’idée d’une super ligue européenne qui serait l’égale de la NFL (football américain), de la MLB (baseball) ou de la NBA (basket). Les championnats nationaux, dépourvus de leur cadors, deviendraient alors, de fait, des ligues mineures, susceptibles de s’organiser elles-mêmes de façon transnationale. Cette perspective a connu un regain de vraisemblance ces dernières semaines avec le verdict de la commissaire européenne à la concurrence Margrethe Vestager selon lequel une fédération sportive est infondée à infliger des sanctions à des athlètes ayant participé à des compétitions non organisées sous l’égide de ladite fédération sportive (voir le post : « Un nouvel arrêt Bosman ? »). En d’autres termes, si l’Association Européenne des Clubs (ECA) décidait de créer une super ligue à la rentrée 2018, ni l’UEFA, ni la FIFA ne pourraient sanctionner les joueurs y prenant part.
Une concentration réellement accrue ?
Mais cette intuition d’une concentration accrue au sommet des ligues nationales est-elle conforme à la réalité ? Pour le savoir, il est possible de calculer un indicateur de déséquilibre compétitif se focalisant sur la « part de marché » (le pourcentage de points obtenus) des 4 ou 5 premières équipes de chaque ligue. Dans les travaux académiques, on étudie ainsi beaucoup le « C5 », ou indice de concentration fondé sur la part de marché des 5 premiers. Nous allons ici privilégier un C4 (part de marché des 4 premiers), plus approprié pour étudier la situation des 5 principales ligues européennes (le « Big 5 »). Sans entrer dans les détails, précisons que ce C4 est mesuré après avoir recalculé les classements finaux dans un système où seulement 2 points sont attribués pour une victoire (mesure non biaisée) et en effectuant une correction pour la Bundesliga (ligue à 18 clubs seulement). Précisons enfin que, dans une ligue à 20 clubs parfaitement égalitaire, le C4 serait égal à 0,20 et, dans une ligue parfaitement inégalitaire, le C4 serait égal à 0,368. Dans le graphique ci-dessous est présenté l’évolution du C4 moyen des 5 principales ligues depuis 2005.
Même si les résultats de 2015 et 2016 semblaient invalider l’idée d’une progression continue du déséquilibre compétitif, les résultats de la saison 2016-2017 confortent la thèse d’une fracture entre quelques cadors nationaux et la masse de leurs poursuivants. Jamais le C4 moyen n’a été aussi fort depuis la création de la ligue des champions (en 1993)…
Et si le projet d’une super ligue dynamitait la menace du Fair Play Financier ?
Le démantèlement des ligues nationales au profit d’une super ligue européenne semble s’inscrire dans un processus incontournable. Jusqu’ici, l’UEFA était parvenu à calmer les ardeurs des grands clubs en leur accordant la plus grosse part du gâteau continental. Mais ces derniers savent qu’ils pourraient obtenir une fraction plus importante du paquet « droits TV nationaux + droits continentaux ». Le big bang du football européen est peut-être imminent. C’est peut-être fort de cette conviction que le Paris Saint Germain semble aborder sans crainte particulière les échéances du Fair Play Financier : être exclu de la Ligue des Champions n’est pas si grave… si l’on s’apprête à jouer en super ligue européenne ! Dans quelques mois, la Ligue 1 aura peut-être perdu 2 ou 3 de ses têtes d’affiches. Il en ira de même pour la Liga, la Bundesliga, la Serie A. Il reste à savoir ce que les têtes d’affiche de la Premier League décideront : rejoindre les cadors de la scène continentale ou « Brexiter » en pariant sur une suprématie planétaire du football joué entre Londres, Manchester et Liverpool. Une fois encore, les anglais seront tiraillés entre leur esprit voyageur et la tentation du repli insulaire…
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