Messagepar Amsalem » 20 mai 2024, 15:12
Je ne sais pas ce qu’est que de ressentir de la honte.
De mes souvenirs de philo, j’ai retenu qu’elle est affaire de regard.
Le sien mais surtout celui de l’autre.
Le mien, il va bien, car je remplis modestement mon boulot de supporter, contre vents et marées. Quant à l’Autre, je m’en carre. Voilà.
Si l’on prend le dico, au sens premier, la honte est un « déshonneur humiliant ».
Je comprends l’amertume de Xavier, surtout quand tu poses ton texte à chaud.
T’as envie de tremper ton clavier dans l’acide ou de balancer du napalm car derrière ses mots, il y a la tristesse.
Si je ne ressens aucune honte, et j’ai vraiment du mal avec ce terme et ce d’autant plus en matière sportive, je me borne à ressentir de la lassitude.
Hier soir, j’ai passé 75% du match posé en Ouest Basse, secteur J, sur mon siège.
Tout le monde était debout, mes gosses notamment, et moi, j’étais affalé sur mon siège orange avec mon portable, pestant intérieurement contre plein de choses, à commencer par le réseau toujours aussi infâme.
Alors je guettais les mots de mon voisin de derrière qui, lui, miracle technologique, en avait un peu, assez pour nous dire l’évolution du score chez les merlus.
Pendant que les pions s’empilaient, que je nous voyais – par bribes, donc – déjouer, liquéfiés que nous étions dès l'entame, je me suis surtout dit qu’aimer passionnément ce club, parce que je le considère comme un membre de ma famille, c’est, beaucoup, sans doute beaucoup trop, souffrir.
C’est fou tout ce qui m’est venu à l’esprit.
Je me suis revu enfant, avec mon père à côté de moi, émerveillé par ces couleurs, ces bruits, ces odeurs.
J'ai volé plus de 30 ans et j'ai revu Metz-Bastia.
Je me suis rappelé ce que j’avais écrit ici, quel était mon état d’esprit ce soir-là. J’étais tellement détendu. Tout ne pouvait qu’être, comme Candide, pour le mieux dans le meilleur des mondes. Soit ça passait, et nous vivrions alors de fugaces moments de plénitude émotionnelle, avec mes enfants heureux, une foule étrangère unie dans la liesse, soit ça se prenait un mur et, passée la déception, l’on retrouverait la quiétude d’une L2 que je traverse sans me faire du mal chaque week-end.
Hier, c’était un peu dans le genre, sauf qu’au fur et à mesure de l’approche du scenario catastrophe, j’ai quand même eu de la peine.
Passer de plaisirs simples, de visages heureux, d’inconnus qui se congratulent à, en à peine un an, des images que des quadras ont désormais bien ancré dans leur crâne, oui…j’ai ressenti de la lassitude. De la fatigue. Comme une impression que l’on ne pourra plus (vraiment) souffler 3-4 ans, que l’on ne pourra plus vivre 3-4 sans frôler l’accident cardio-vasculaire, sans être déçus, pire, affligés.
Affligés par ces schémas que l’on reproduit.
Ce pronom est incorrect, alors je vais écrire "d'autres", ceux qui ont la décision entre leurs mains.
Paul Ricoeur disait que décider, "c’est trancher le débat en faisant sienne une des options considérées". Ce qui nous mine sans doute depuis tant d'années n'est pas tant (ou pas que) le décideur final que celles et ceux qui le conseillent (tout ce fatras d'opportunistes, d'Iznogoud, d'incompétents...), bien que toutes et tous en soient responsables à la fin.
Et puis, alors qu’on quittait la TOB précocement, la plupart de la tribune restant figée, pétrifiée, que des grappes se formaient pour vérifier le règlement, c’est une rencontre fortuite avec un jeune qui a fait chavirer ma fin de soirée. J’avais oublié notre score à Lorient, bien aidé par mon voisin de derrière qui, lui-aussi, était dans le faux.
Exprimer mon soulagement est complexe tant il fut fort.
Nous n’étions finalement pas morts.
Pour combien de temps, ça, c’était une autre question, mais j’en restai alors au carpe diem.
Pas de honte donc.
Par contre, une certitude : rien ne changera sans un changement de direction. Trop d’erreurs s’accumulent, même si des réussites se sont faites jour, des erreurs que l’on ne fait qu’aborder à grands renforts d'éléments de langage - que l'on n'écoute même plus - sans les corriger en profondeur, nous condamnant à des joies passagères au milieu de la grisaille.
Durant la rencontre, outre les failles de ces personnes en haut-lieu, j’ai pensé à la chance incroyable qu’ont les joueurs qui portent notre maillot.
Ceux qui en portent d’autres ne m’intéressent pas.
Je me suis dit : « Bord**, c’est quand même incroyable d’avoir la possibilité de rendre des gens, de toutes conditions sociales, de tout milieu culturel, ethnique…des gens qui ne se connaissent pas, qui, peut-être, sans dans la douleur à cet instant, de rendre tout ce magma humain heureux juste grâce à un ballon et beaucoup d’envie ».
Si seulement les joueurs pouvaient mesurer cette chance.
Parfois j’y crois, parfois moins, parfois pas du tout, ou alors à la marge.
Puissent-ils, un jour de leur carrière, si possible quand ils portant notre emblème, prendre conscience que l’on ne joue pas avec l’espérance.
On ne trahit pas l’espoir. On souffle dessus de toutes ses forces.
C’est à ça que l’on reconnaît un Homme.
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Amsalem le 20 mai 2024, 15:25, modifié 8 fois.