RL 04/12/09
«Il vaudrait mieux éviter...»
A 50 ans, Rachid Maatar dirige le centre de formation de l’ASNL. Franco-Algérien, il compte 25 sélections en équipe d’Algérie.
Et si le tirage au sort accouchait d’un France - Algérie ? L’avis partagé de Rachid Maatar, ancien joueur, aujourd’hui directeur du centre de formation de Nancy, né en France de parents algériens.
Ce soir, comme des millions d’autres supporters à travers le monde, Rachid Maatar retiendra son souffle. Mais plutôt deux fois qu’une : né en France de parents algériens voilà maintenant cinquante ans, « immigré de la deuxième génération », l’actuel directeur du centre de formation de l’AS Nancy-Lorraine s’intéressera de près au destin de deux équipes. Et si l’Algérie et la France devaient se croiser, dans six mois, en Afrique du Sud ? Maatar, qui compte vingt-cinq sélections avec l’Algérie, ne préférerait pas, quoi qu’en dise son cœur. Voici pourquoi...
• Un peu de fiction : le tirage au sort de la Coupe du monde vient de se terminer, l’Algérie et la France figurent dans le même groupe. Votre réaction ? « Moi, le fils d’immigré, élevé selon une éducation française, dont le père a combattu pour la France pendant la deuxième guerre mondiale, je serais très heureux. Je revendique l’appartenance à deux pays, la France et l’Algérie. Et ce même si, souvent, y compris dans l’exercice de mon métier, on m’a souvent fait comprendre que je n’étais pas français... Donc, en même temps, ce match m’embêterait. L’histoire longue et tourmentée entre les deux pays suscite, aujourd’hui, encore trop d’ambiguïtés et recouvre trop de haine : il vaudrait mieux éviter... »
• C’est le précédent de 2001 qui vous incite à vous montrer aussi réservé (*) ? « Pas forcément. J’ai d’ailleurs des doutes sur ce qui s’est réellement passé ce jour-là. Présent sur le bord du terrain en tant que commentateur, Jean-Pierre Papin m’avait dit que tous ceux qui avaient envahi le terrain n’étaient pas d’origine algérienne. Cette fois, le match aurait lieu en Afrique du Sud, ce serait mieux. Mais je crois que, dans tous les cas, une minorité de supporters de l’Algérie n’accepteraient pas le résultat, quel qu’il soit. La preuve : après la qualification, face à l’Egypte, pourtant obtenue au Soudan, sur terrain neutre, il y a eu quelques comportements déplacés et douteux, en France, qui font complètement oublié que la plupart de ces jeunes sont des gens bien élevés. Au point que je me demande s’il n’y a pas, ici, en France, des personnes qui ont intérêt à ce que les choses dégénèrent, dès lors que l’Algérie est concernée... »
«Peur de ce qui pourrait se passer»
• Est-ce qu’on ne peut pas imaginer que les choses se passent bien, comme autour du match Allemagne - Turquie du dernier championnat d’Europe, pour prendre un exemple comparable ? « A priori, quoi de mieux que le sport pour rassembler les peuples ? D’accord... Je ne suis pas croyant mais, si ce match devait avoir lieu, je prierais au fond de moi pour qu’il soit l’occasion de donner au monde entier une image d’apaisement et de fraternité. Il s’agit de l’événement réunissant le plus grand nombre de téléspectateurs, ce serait formidable. Seulement... »
• Seulement ? «J’ai peur de ce qui pourrait se passer. Peur que quelques uns troublent la fête. Et ce n’est pas seulement du ressort des jeunes d’origine algérienne. Parmi ces jeunes-là, et je sais de quoi je parle, combien entendent encore aujourd’hui des remarques du type : retourne dans ton pays ? Les responsabilités sont partagées... »
• Que faudrait-il dire aux jeunes pour qu’un tel match ne donne pas lieu à des débordements ? Et qui détiendrait l’autorité morale pour le faire ? «C’est tout le problème... Trop prévenir pour éviter d’avoir à guérir pourrait avoir l’effet inverse, et attiser le feu. Disons que, dans les six mois qui nous sépareraient de ce match, il faudrait que les deux fédérations organisent des manifestations communes, sans oublier qu’il ne s’agirait que d’un match parmi soixante-quatre autres au programme de la Coupe du monde... »
S. V.
(*) Le 6 octobre 2001, au Stade de France, le premier France - Algérie de l’histoire, en amical, n’avait pu s’achever en raison de l’envahissement du terrain par des supporters aux couleurs de l’Algérie, alors que la France menait 4 buts à 1. Au préalable, des sifflets avaient recouvert la Marseillaise.
Publié le 04/12/2009